2/2 : voici l’analyse que les élus CFE-CGC ont présentée en CSE Central du 19 juillet concernant notamment la stratégie ArianeGroup et la situation économique
cet article est exceptionnellement long car le sujet se prête difficilement à des coupes. Afin d’en faciliter la lecture voici le sommaire des paragraphes :
- Une stratégie de plus en plus repliée sur elle-même
- Une addiction aux politiques publiques et à leurs financements
- Un faible investissement dans la R&T, prémices d’un décrochage technologique
- Le « gloubi-boulga » européen
- Le réutilisable et les mini-lanceurs
- GPEC et Formations : on réduit ! partout !
- L’erreur de ne pas avoir investi dans un statut social commun
- Un actionnariat au 50/50 bancal conduisant à des prises de risques limitées
UNE STRATÉGIE DE PLUS EN PLUS REPLIÉE SUR ELLE-MÊME
- Un resserrement sur les grands programmes Étatiques ou Institutionnels censés apporter les volumes de chiffre d’affaires et la rentabilité nécessaires à alimenter la structure. En effet, les marchés commerciaux sont devenus difficilement accessibles compte tenu du dumping américain échappant aux règles de l’OCDE car déployé sur le marché institutionnel américain
- Peu ou plus de volonté de diversification sur les Produits, Equipements et Services, marchés commerciaux concurrentiels où nous ne savons plus être compétitifs.
Un business model qui interroge d’autant plus que les marges de manœuvre et d’adaptabilité à un environnement en forte évolution sont réduites voire inexistantes.
Un business model qui interroge d’autant plus que les soutiens institutionnels ne sont pas au rendez-vous. Le Manifeste européen est resté lettre morte.
UNE ADDICTION AUX POLITIQUES PUBLIQUES ET À LEURS FINANCEMENTS
Cette dégradation, pour partie choisie, du portefeuille d’affaires a conduit immanquablement ArianeGroup à une addiction aux politiques publiques et à leurs financements. La Direction est dans l’attente permanente des décisions de l’ESA, de la DGA ou du Gouvernement.
Si des « Key Strategic Initiatives » (KSI), dont une seule concerne une diversification (projet Hydrogène) sont identifiées et déployées, leurs effets ne sont pas attendus avant 2030 :
- Et encore … ces KSI n’existent que parce que des financements externes sont, comme le dit la Direction, « à récupérer »
- Et encore … n’attendons pas que le projet hydrogène génère un gisement d’emplois significatifs
- Et encore …
ArianeGroup est génétiquement très dépendante de décisions purement politiques : dissuasion nucléaire, politique spatiale européenne. Circonstance aggravante, suite au Portfolio review, la décision de nous couper d’activités de diversifications renforce encore notre dépendance aux politiques.
Ces activités avaient pourtant deux atouts majeurs : permettre le maintien des compétences tout en s’ouvrant à d’autres activités industrielles impliquant la maitrise d’outils de compétitivité et d’innovation pouvant être repris sur le « core business ».
CETTE ADDICTION A UNE CONSÉQUENCE
L’avenir d’ArianeGroup, notre avenir, dépend de moins en moins de nos dirigeants et de plus en plus des Ministères et de Bruxelles en passant par … l’Allemagne et l’Italie, et aussi … Elon MUSK, Jeff BEZOS ou Joe BIDEN !
La CFE-CGC constate que la stratégie d’ArianeGroup repose peu sur des initiatives, des prises de risques, ou encore de l’innovation pour susciter/tirer le besoin. La société s’est fixée comme « ambition » de répondre aux seules opportunités nationales et européennes ou de capter des activités périphériques attractives à court terme (attractives = comprendre « en terme de Chiffre d’Affaires »).
Vu de l’extérieur c’est très « OldSpace » et nos partenaires nous le font comprendre au prix fort.
UN FAIBLE INVESTISSEMENT DANS LA R&T, PRÉMICES D’UN DÉCROCHAGE TECHNOLOGIQUE
Le peu de moyens internes affectés à la R&T est l’un des corollaires de cette addiction aux institutionnels, juteuse à une époque et aujourd’hui mortifère :
- ArianeGroup finance seulement 15% de la R&T réalisée par la société
- 85% de la R&T est financée par les clients
La société veut bien développer de nouvelles technologies ou des innovations mais à condition qu’elle soit financée pour le faire car elle n’est pas décisionnaire.
Si Safran avait fait de même alors le CFM-56 (turboréacteur le plus vendu au monde) ou son remplaçant le Leap n’auraient jamais existé (Safran non plus d’ailleurs) !
Depuis la création de la société nos actionnaires ont préféré se verser des dividendes plutôt que de permettre à ArianeGroup d’investir ses bénéfices dans ce qui construit l’avenir : la R&T et les salariés.
Cela est rappelé par l’expert du CSE-Central : notre entreprise a toujours un à deux temps de retard sur nos compétiteurs ; les faibles budgets alloués à la R&T ne feront donc qu’amplifier ce décrochage.
LE « GLOUBI-BOULGA » EUROPÉEN
Les politiques et les industriels Européens ont fini par admettre qu’il y a une concurrence « féroce » pour l’accès à l’espace. Il est vrai que nos dirigeants se sont bouchés les yeux et les oreilles durant ces dix dernières années quand il aurait été encore temps d’y faire face.
A présent il faut tout faire sous pression et dans une certaine précipitation. Notamment une énième réorganisation, SHIFT, assortie d’une forte baisse d’effectif confirmée dans la dernière vidéo du CEO. Cette précipitation risque de démobiliser nos forces vives, mais aussi d’entrainer la disparition de nos savoir-faire avec des départs de compétences non maîtrisés.
ArianeGroup a été construite, sans doute trop tardivement, pour répondre à la montée en puissance des acteurs du NewSpace tels que SpaceX ou Blue Origin. Depuis le début, la société tente de rattraper la concurrence mais le retard accumulé sur Ariane 6 accentue les difficultés et rend quasi impossible l’adaptation au marché… Nous avons toujours un temps de retard.
Le modèle ArianeGroup imaginé en 2014, n’a que peu évolué malgré la montée en puissance de SpaceX. Ariane 6 est considéré comme « le bon produit », ce qui est sans doute le cas, mais le retard du programme contraint la société et il est difficile dans cette situation de se positionner facilement sur des contrats commerciaux. D’autant plus que la durée de vie d’Ariane 6 sera plus courte que prévu …
La société est entrée dans un cercle vicieux dont nous espérons qu’un 1er tir A6 réussi, selon le dernier planning annoncé, permettra de sortir.
ArianeGroup, « industriel aux racines glorieuses », limite son ambition à tenter de répondre aux attentes de nos clients actuels dans ce « gloubi-boulga » européen.
La CFE-CGC déplore qu’ArianeGroup n’ait plus la main : tout ne dépend plus que des décisions que prennent les Etats Européens, l’ESA, les agences … autant dire de nombreuses personnes dont beaucoup ne connaissent pas un seul des établissements d’ArianeGroup !
Nos dirigeants en sont réduits à gérer les conséquences opérationnelles et sociales de décisions politiques prises par d’autres personnes au gré des tensions géopolitiques entre les Etats.
A ceci s’ajoute, comme la CFE-CGC le dit régulièrement :
- L’Europe ultralibérale qui ne défend pas son industrie
- L’Allemagne qui semble vouloir « remettre en cause » le modèle Européen d’accès à l’Espace et, suite à son coup de poker gagnant lors de la conférence ministérielle de Séville de fin 2019, veut son juste retour géographique ; Vernon (moteur Vinci) est en première position sur la liste des victimes potentielles
En quelques années nous sommes passés d’une position de « leader » à celle de « suiveur » (espérons ne jamais dire « loser »).
LE RÉUTILISABLE ET LES MINI-LANCEURS
Il y a quelques années la Direction nous expliquait, sans doute de bonne foi, que « le réutilisable n’est utile que s’il y a de la cadence », ou que « les mini-lanceurs n’ont pas d’avenir ».
Aujourd’hui :
- Le réutilisable est à l’étude parce que le politique le souhaite et qu’il en finance les études de faisabilité
- Les mini-lanceurs ont le vent en poupe (sauf chez ArianeGroup qui a fait l’erreur de stopper le projet Sparrow)
QUAND LA FARCE TOURNE AU CAUCHEMAR
Le CEO d’Airbus DS se félicite que le fonds d’investissement Airbus Venture ait contribué au lancement du petit lanceur allemand Isar Aerospace.
Si ArianeGroup a été construite avec la volonté d’être une entreprise « comme une autre », cinq ans après sa création nous constatons que les choix stratégiques faits (coupes dans la R&T, revue/repli du portefeuille d’activités, …) couplé au contexte global du spatial ont rendu la société dépendante à 100% de choix faits par d’autres.
GPEC ET FORMATIONS : ON RÉDUIT ! PARTOUT !
Pour pouvoir mener à bien ses engagements contractuels et se développer, ArianeGroup doit pouvoir s’appuyer sur des femmes et des hommes aux compétences reconnues et des outils de production à la pointe du progrès.
Cependant la Direction pilote la société les yeux rivés sur la situation financière et un plan de charges où les hypothèses restent pessimistes. D’où Shift et son corollaire : le plan de réduction des effectifs qui sera négocié à la rentrée.
L’objectif de réduction des effectifs annoncé est très élevé. Aussi, même si la Direction nous présente une GPEC qui semble bâtie sur des données, de la projection et des orientations formation précises, faites par des équipes engagées et professionnelles, la fiabilité de la charge affichée et la visibilité sur les postes en doublon sont très insuffisantes.
Comme cela a été relevé par l’expert du CSE Central, les prévisions d’ETP semblent très éloignées du terrain et d’une évaluation réelle de la charge, des activités et compétences à conserver et à développer pour la survie de notre entreprise. Elles semblent plus être le fruit d’une règle de trois réalisée par des financiers que d’une évaluation réelle (quantitative et qualitative) du plan de charge.
Nous sommes une entreprise dont les compétences s’acquièrent sur un temps long ! Nous sommes donc perplexes quant à l’adéquation réelle entre la GPEC, le plan de formation et les baisses d’effectif annoncées : quelle valeur peut-on y accorder ?
Le risque, par perte de compétences non maîtrisée, de ne plus pouvoir livrer nos clients OQOTOC, comme le veut l’expression interne consacrée, nous semble élevé ! Ceci est en revanche crédible.
Telle que l’affiche la Direction, la recherche de compétitivité se résume donc à une réduction des effectifs ! Pour la CFE-CGC il est nécessaire d’adapter la capacité à la charge réelle, mais où est passée l’ambition de conquérir de nouveaux marchés ?
In fine, nous en venons à nous poser la question des différentes annonces faites concernant la baisse des effectifs :
- Ne serait-ce pas une stratégie « d’effet d’annonce » pour demander à nouveau des subventions aux politiques et aux agences ?
- Est-ce le seul discours que la société veut ou peut tenir vis-à-vis des instances ou agences ?
L’effort fait sur les effectifs semble donc être le seul levier activé et affiché officiellement par la Direction, les effets attendus de Shift (100M€ d’économies et un retour à un EBIT à 8% en 2025) étant peu précisés.
La CFE-CGC se rappelle de l’annonce des « -2300 » de 2018, scénario ultra-anxiogène pour les salariés, qui s’est finalement géré par la simple attrition naturelle.
L’ERREUR DE NE PAS AVOIR INVESTI DANS UN STATUT SOCIAL COMMUN
La CFE-CGC considère que l’absence d’harmonisation des statuts des salariés d’ArianeGroup est uniquement liée à des considérations financières : cinq ans après la création de la société, il n’existe toujours pas de statut commun aux salariés de l’entreprise.
Si cela n’a pas empêché la société de fonctionner, notons tout de même les freins que cette situation génère dans la mobilité comme dans l’intégration des salariés au sein d’une entreprise qui devrait être cohésive.
Où se situe le sentiment d’appartenance, d’identité, lorsque les salariés sont convaincus, exemples à l’appui, que l’herbe est plus verte dans l’établissement d’à-côté ?
Plus les années passent et plus la situation économique de l’entreprise se dégrade. Cela devient un argument pour la Direction pour limiter le budget, s’il y en a eu un jour (!), qu’elle veut bien mettre pour harmoniser les statuts.
La CFE-CGC considère qu’il eut été stratégique pour ArianeGroup de viser un socle social commun très rapidement : un socle social commun pour faire corps face à l’adversité, notamment dans la concurrence dans le domaine civil.
Au regard des sommes dépensées depuis des années sur différents projets, comment ne pas considérer que le fait de ne pas avoir investi pour un statut social commun est une erreur ?
L’ « EXEMPLE » DES VOYAGES ET DE PLM-T
Comment accepter de dépenser plus de 50M€ chaque année en déplacements professionnels et, en même temps, refuser de mettre quelques M€ dans la construction d’un statut social commun ?
Ce que l’entreprise aurait pu investir pour traiter le statut social nous semble minime au regard notamment des sommes qu’elle a dépensées sur PLM-T (et ce n’est pas terminé !).
La situation économique de l’entreprise n’est pas florissante mais il est encore temps pour que la Direction consacre une part de sa trésorerie à un statut social commun. D’autant que l’érosion des effectifs et les politiques salariales toutes calées sur le minimum de l’acceptabilité sociale font que la masse salariale totale est en nette diminution depuis 2018.
UN ACTIONNARIAT AU 50/50 BANCAL CONDUISANT À DES PRISES DE RISQUES LIMITÉES
Nous ne pouvons terminer sans revenir sur l’incapacité qu’a ArianeGroup à sortir des sentiers battus et à prendre des décisions sans que la finance n’en soit le principal critère. A ce titre, la CFE-CGC affirme depuis 2015 que notre actionnariat à 50/50 est bancal :
- Bancal car nos actionnaires n’ont pas de vision commune forte pour ArianeGroup (arrêtons de faire comme si ce n’était pas le cas)
- Bancal car cette parité empêche l’un comme l’autre de pousser des décisions fortes
- Bancal car ce 50/50 est la voie directe vers des décisions assises sur des consensus mous. Sauf que le consensus mou n’a jamais été à l’origine de décisions innovantes, en rupture
Ce 50/50 favorise l’émergence de dirigeants contraints d’adopter des attitudes plus gestionnaires qu’entrepreneuriales. Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner si des salariés aux compétences pointues et au profil d’entrepreneur quittent la société.
Voici donc les différentes raisons pour lesquelles la CFE-CGC a rendu des avis négatifs sur la Consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et les orientations de la formation, ainsi que sur la situation économique et financière de l’entreprise, la politique de recherche et de développement technologique de l’entreprise.