Géré par les partenaires sociaux et fort de 68 milliards d’euros de réserves, le régime de retraite complémentaire va faire l’objet d’une négociation pour en définir les orientations stratégiques.
Alors que la réforme injuste et brutale des retraites doit entrer en vigueur au 1er septembre prochain (fiches thématiques CFE-CC disponibles sur l’Intranet et vidéos sur la chaîne YouTube) au gré de la publication des décrets d’application et de leur difficile mise en œuvre dans les délais impartis, l’Agirc-Arrco va se retrouver au centre des attentions concernant la retraite complémentaire.
« La renégociation quadriennale de l’accord national interprofessionnel (ANI) du régime a fait l’objet d’une première réunion le 11 juillet, explique Christelle Thieffinne, secrétaire nationale CFE-CGC à la protection sociale. Il s’agira de définir les orientations stratégiques de cet acteur paritaire de référence pour les 4 ans à venir, notamment les valeurs d’achat et de service du point et le coefficient de solidarité Agirc-Arrco dont l’avenir doit être mis sur la table à la lumière, entre autres, des conséquences de la réforme des retraites. »
La négociation sera assurément scrutée de près, certains observateurs et acteurs faisant valoir que la situation financière florissante du régime pourrait susciter la convoitise du gouvernement afin de capter tout ou partie de ces ressources pour financer des dépenses liées aux retraites de base.
LE RÉGIME DE RETRAITE COMPLÉMENTAIRE OBLIGATOIRE DES SALARIÉS DU PRIVÉ
Reposant sur les principes de répartition et de solidarité entre les générations, l’Agirc-Arrco, issu de la fusion en 2019 des régimes Agirc (spécifique aux cadres du privé) et Arrco (tous les autres salariés du privé), est le régime de retraite complémentaire obligatoire des salariés du privé. Environ 26 millions de salariés y cotisent pour constituer leurs droits futurs, et 1,7 million d’entreprises adhèrent au régime. Chaque mois, 13 millions de retraités perçoivent une allocation de retraite complémentaire pour un montant annuel total de l’ordre de 90 milliards d’euros.
UN RÉGIME PARITAIRE ROBUSTE
Pilotée par les 5 organisations syndicales représentatives et les 3 organisations patronales, l’Agirc-Arrco fait preuve d’une grande robustesse financière. Au terme de l’exerce 2022, le régime a affiché un résultat technique – la différence entre les ressources (cotisations) et les charges (pensions de retraite), hors résultat financier – de 5,6 milliards d’euros. Le montant des réserves disponibles s’élève à 68 milliards d’euros, constituées pour faire face aux crises et aux aléas économiques et démographiques, et garantir le paiement des retraites sur le long terme sans peser sur les générations futures.
« Sur les 15 dernières années, le régime a utilisé 37 milliards d’euros de réserves ponctuellement en période de crise pour verser les retraites ou attribuer des droits sans contrepartie de cotisations et sans recourir à la dette, indiquait l’instance dans un communiqué publié en mars dernier. Les partenaires sociaux se sont fixés comme règle d’or de disposer, à tous moments sur 15 ans glissants, d’une réserve équivalente à au moins 6 mois d’allocations annuelles. »
VERS UNE ÉVOLUTION DU SYSTÈME DE BONUS-MALUS ? Parmi les points au menu de la négociation à la rentrée pour fixer les règles (valeur de service du point, valeur d’achat du point, niveau des réserves financières, etc.) et le pilotage du régime entre 2023 et 2027, figure la question du bonus-malus. Les partenaires sociaux doivent ainsi décider du maintien ou de la suppression des coefficients majorants et minorants à partir du 1er septembre 2023. Pour rappel, une décote provisoire de 10 % pendant 3 ans est actuellement appliquée à la pension complémentaire dans le cas d’un départ en retraite à l’âge du taux plein (cette décote est annulée dans le cas d’un report d’une année par rapport à l’âge du taux plein). À l’inverse, un bonus concerne les personnes qui décalent le point de départ de leur retraite Agirc-Arrco d’au moins 2 ans par rapport à la date à laquelle elles ont rempli les conditions de la retraite de base à taux plein.
En relevant l’âge légal de 2 ans (de 62 à 64 ans), la réforme des retraites remet en question le dispositif en vigueur. « Nous voulons faire tout ce qui est possible pour faire disparaître le malus rapidement, assure Christelle Thieffinne pour la CFE-CGC. Il a été mis en place à un moment où la situation financière de l’Agirc-Arrco n’était pas au beau fixe. Aujourd’hui, les finances se portent bien. Maintenir une décote dans le contexte de la réforme des retraites ressembleraient à une double peine »
L’ANALYSE DE CHRISTELLE THIEFFINNE, SECRÉTAIRE NATIONALE CFE-CGC À LA PROTECTION SOCIALE
La règle d’or des réserves de l’Agirc-Arrco doit être maintenue. Ces réserves ne constituent aucunement un « trésor de guerre » mais garantissent la pérennité et la solvabilité du système. C’est un des marqueurs fort de la bonne gestion responsable de notre régime. Je rappellerai simplement que le régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco est un modèle de gestion totalement paritaire. Ce ne sont que les partenaires sociaux qui ont la main sur le système, nous partageons tous un intérêt commun. Les pouvoirs publics laissent entendre ces jours-ci l’opportunité d’une contribution des réserves de l’Agirc-Arrco dans le régime général de retraite. Si cette position est confirmée, la rentrée sera à nouveau très tendue avec le gouvernement.
Les conséquences économiques de la réforme des retraites est à relativiser : un décalage du départ en retraite provoque certes des cotisations supplémentaires mais aussi, et fort heureusement, des droits supplémentaires (ce que ne fait pas le régime de base). La réforme n’apportera ainsi pas une manne financière au régime. De plus, nous aurons à regarder particulièrement la possibilité d’ouvrir des droits dans le cas de cumul emploi-retraite – c’est une nouvelle possibilité ouverte à étudier.
Ainsi, dans un contexte favorable économiquement pour les années à venir, cette négociation doit aboutir en priorité à la revalorisation des pensions de retraite (revalorisation de la valeur de service du point) et voir disparaître le coefficient de solidarité (décote).
Cette négociation arrive au terme de l’accord actuel couvrant 2019-2022. Elle aboutira à un nouvel accord qui s’appliquera dès 2023, jusqu’en 2026. Le calendrier, décalé en raison de la réforme des retraites dont nous avions besoin de mesurer les conséquences, est maintenant contraint dès la rentrée. Nous devrons être efficaces et nous entendre rapidement.